B. K. S. Iyengar,
connu pour son enseignement du yoga, est une célébrité planétaire.
Il s'est éteint le 20 août dernier. Le quotidien, The Hindu, lui
rend hommage en retraçant sa vie.
En 2011, lors d'une
visite en Chine, B.K.S. Iyengar eut la surprise de se
découvrir une foule d'adeptes dans ce pays où il se rendait pour la
première fois. L'un d'eux lui confia qu'il pratiquait depuis des
années, mais qu'il avait l'impression de ne plus progresser. La
réponse du maître yogi résumait parfaitement sa conviction que
l'art de rapprocher le corps et l'esprit était un effort perpétuel.
« Je pratique le yoga depuis soixante-seize ans, avait-il
dit, et j'apprends toujours. »
Après avoir
consacré sa vie au yoga, Bellur Krishnamachar Sundararaja
Iyengar, décédé le 20 août 2014 à l'âge de 95 ans, laissera
le souvenir d'un maître exemplaire. Partageant absolument toutes ses
connaissances avec ses disciples sans garder aucun secret, il ne
demandait que trois choses :
- l'assiduité dans la pratique,
- la discipline
- et la rigueur.
Ainsi, n'importe qui
peut atteindre la réalisation du soi, écrit-il dans son célèbre
ouvrage Light on Life (La Voie de la paix intérieure : voyage vers
la plénitude et la lumière, InterEditions, 2007). Car c'est bien là
le but ultime du yoga.
A 14 ans, il
s'initie au yoga.
Issu de parents
modestes, BKS Iyengar naît en 1918 dans le village de Bellur, près
de Kolar, dans l'Etat du Karnataka (dans le sud du pays). La famille
part ensuite s'installer à Bangalore, mais le père, professeur
d'école, meurt quelques années plus tard alors qu'BKS Iyengar n'a
que 9 ans. Enfant chétif, orphelin de père, le jeune garçon ne
brille pas non plus à l'école. Ce n'est qu'à l'âge de 14 ans,
lors d'un séjour dans l'ashram, Ermitage, de son beau-frère T.
Krishnamacharya, à Mysore, qu'il commence son initiation au
yoga.
Etudiant en
sanskrit, Krishnamacharya a appris le yoga auprès d'un maître
dans l'Himalaya tibétain et ouvert une école à Mysore sous la
protection du maharaja local. Il demande au jeune Iyengar de venir
veiller sur sa sœur lorsqu'il est en voyage. Plusieurs décennies
plus tard, Iyengar confiera lors d'un entretien avec CNN-NBC, en
2010, que son beau-frère et maître ne l'a accepté que parce que
son élève le plus prometteur avait quitté l'ashram. Il suscitait
toutefois la « peur » chez le jeune garçon, qu'il
menaçait parfois d'affamer. Orphelin de père, Iyengar était traité
comme un moins que rien, explique-t-il. Mais « j'allais
jusqu'au bout de mes limites dans ma pratique afin d'accomplir mon
devoir envers mon maître et gardien et de répondre à ses
exigences », écrit-il dans La Voie de la paix intérieure.
Après avoir passé
quatre ans dans l'ashram de Mysore, Iyengar est envoyé à Pune (près
de Bombay) pour enseigner le yoga. Dans son livre, il se souvient
qu'il n'avait rien – ni famille ni communauté pour l'aider dans
une ville inconnue, aucune connaissance de la langue locale, aucune
garantie de trouver des étudiants –, rien d'autre que sa
connaissance des asanas (postures de yoga). A l'époque, BKS
Iyengar était même ignorant de la philosophie du yoga, de ses
textes anciens et de l'un de ses aspects les plus fondamentaux : les
techniques de respiration, ou pranayama. C'est au cours des années
suivantes, et par lui-même, qu'il découvrit tout cela. « Mon
corps est devenu mon premier outil pour découvrir ce qu'était le
yoga. C'est là qu'a commencé ce lent processus de perfectionnement
que je poursuis encore aujourd'hui. Au fil du temps, le yoga m'a
énormément apporté au plan physique, écrit-il, mais j'ai vu qu'il
pouvait avoir autant de bienfaits pour mon esprit et pour mon cœur. »
Réputé pour sa
discipline stricte mais bienveillante, BKS Iyengar développa une
méthode peut-être influencée par son expérience personnelle avec
un maître qui ne répondait pas à ses questions, ne le guidait pas
petit à petit et « demandait seulement à ses élèves de
faire une posture, en leur laissant le soin de trouver comment la
réaliser ». Blessé à la colonne vertébrale après un
accident de scooter, il commença à utiliser des accessoires dans sa
pratique du yoga. L'utilisation de cordes, de blocs et de bancs
permit alors de faciliter bon nombre de postures.
BKS Iyengar
partageait tout ce qu'il savait et formait un nombre croissant de
disciples à enseigner leur pratique. C'est peut-être cette
générosité qui attira un flot continu de pratiquants vers son
institut de Pune (le Ramamani Iyengar Memorial Yoga Institute
(Rimyi), baptisé du nom de sa femme Ramamani, décédée en 1973 (et
où les cours ne coûtent que 1 100 roupies, environ 14 euros, à
l'année).
Ses élèves se
dispersèrent et fondèrent des écoles partout dans le monde, créant
ainsi une marque mondiale – l'école de yoga Iyengar –
sans la moindre campagne publicitaire ou de marketing. Le
« Dictionnaire Oxford » (référence pour la langue
anglaise) atteste de son influence en consacrant une entrée à son
yoga : Iyengar : nom, type de hatha-yoga mettant l'accent sur le bon
alignement du corps et utilisant des cordes, des blocs de bois et
autres accessoires pour réaliser les postures.”
Invité vedette d'un
sommet de yoga organisé à Guangzhou, en Chine, BKS Iyengar se
rendit pour la première fois dans ce pays en 2011, et il n'imaginait
pas y trouver près de 30 000 adeptes. Il ne savait pas non plus que
tous ses livres, traduits, étaient largement diffusés et qu'il
existait même un timbre Iyengar. Stupéfait par l'enthousiasme des
Chinois, il confia au journal The Hindu : « Je ne serais pas
surpris que la Chine dépasse un jour l'Inde dans le yoga. »
La Chine est sa plus récente conquête à l'étranger. Les fins
analystes stratégiques de la communauté indienne pourraient bien
saluer son travail comme étant celui d'un des premiers et des
meilleurs ambassadeurs du « soft power » indien. En
effet, dans les premières années de la guerre froide et plusieurs
décennies avant que le Pr Joseph Nye, de l'université Harvard,
n'invente la formule, le yoga d'Iyengar était bien plus connu dans
le bloc soviétique que les films de Bollywood.
Un yogi ne meurt
pas avant sa mort
Sur les photos
d'archives, on le voit se livrer à des démonstrations de yoga ou
enseigner à d'immenses classes dans des capitales occidentales,
arborant toujours un simple slip et ses longues boucles déjà
emblématiques. Introduit aux Etats-Unis par le violoniste Yehudi
Menuhin, BKS Iyengar comptait déjà de nombreux disciples
parmi les vedettes des années 1950. L'anecdote la plus célèbre
reste toutefois celle de sa rencontre avec Yehudi Menuhin lors d'une
tournée du violoniste en Inde en 1951. Celui-ci pratiquait déjà le
yoga, mais c'est à l'issue de cette rencontre qu'il fut convaincu
d'avoir trouvé le maître qu'il cherchait et devint le disciple
d'Iyengar. Par la suite, Menuhin déclarera que BKS Iyengar avait été
son « meilleur professeur de violon », car il l'avait
aidé à comprendre les « mécanismes » en action
lorsqu'il jouait, ce qui lui avait permis d'éliminer toute sensation
de douleur.
BKS Iyengar estimait
que l'âge ne devait pas empêcher la pratique du yoga et continua à
faire ses exercices d'asanas et de pranayamas presque jusqu'à la fin
de sa vie. Dans son livre, le maître écrit que la mort est
inévitable, mais qu'il n'y pense pas. « La naissance et la
mort se situent au-delà de la volonté humaine. Elles ne sont pas de
mon domaine. La complexité de la vie de l'esprit prend fin avec la
mort, et avec elle toutes les joies et les peines. Lorsque vous êtes
déjà affranchi de cette complexité, la mort est douce et
naturelle. » Un véritable yogi ne meurt pas avant sa mort,
soutenait Iyengar. Sa vie en est la preuve.